Il y a 23 ans, le 7 juillet 1995, les forces Serbes de Bosnie commandées par le général Mladic prennent d’assaut la ville de Srebrenica, zone proclamée « sûre » par l’ONU ! Des milliers de civils fuient alors cette zone « sûre » pour rejoindre par la route, la ville de Potocari distante seulement de quelques kilomètres, où se trouve la base militaire de l’ONU. Il y a 23 ans, le 11 juillet 1995, environ 12500 hommes sentant l’incapacité de la Forpronu à les protéger, décident de fuir cette enclave. C’est le début de la marche….Worldzine : le génocide de Srebrenica
Nous sommes le 11 juillet 2018, jour du souvenir et du recueillement. Mais, il règne dans les rues de Potocari, une atmosphère « jour de marché » avec de nombreux étals exposant à la foule présente, pastèques et bonbons multicolores qui font la joie des enfants. Plus loin, des senteurs de viande grillée exhalent derrière des volutes de fumée, un parfum prometteur. Nous avançons avec peine en direction du Mémorial sur des trottoirs noirs de monde. Inutile cependant d’envisager une solution de repli en marchant sur la chaussée. En effet, des dizaines de cars provenant de toute la Bosnie et d’ailleurs ont pris possession du macadam, dans un long cortège ponctué de quelques coups de klaxons. Ils transportent des familles entières venues se recueillir au Mémorial pour cette journée du souvenir.
En nous rapprochant du Mémorial, les commerces de bouche se font plus rares et les bruits de la ville plus discrets. Seule la sirène d’une voiture de police, annonçant l’arrivée imminente d’une personnalité politique certainement importante, rompt un instant la solennité de l’endroit. A l’intérieur du Mémorial, se presse déjà une foule nombreuse. Dix mille personnes, peut-être d’avantage, prennent place dans cette enceinte dédiée au recueillement. Certaines se regroupent par famille autour d’une tombe fraîchement creusée et qui bientôt accueillera pour son dernier voyage un membre de la famille. D’autres s’installent à l’ombre de quelques arbres ou sous des parapluies aux couleurs bigarrées pour échapper un peu à la chaleur d’un soleil ardent. Ces personnes là sont venus par solidarité, soutenir les familles des 35 victimes qui seront inhumées aujourd’hui. Car, elles savent bien l’importance d’une présence bienveillante dans ces moments là. Elles le savent d’autant mieux que certaines enterraient l’an passé un des leurs et que d’autres, peut-être à leur tour, feront de même l’an prochain.
La cérémonie vient de commencer. Les discours officiels et les moments de prières se succèdent sous le regard des V.I.P placées tout en haut du Mémorial et d’une foule attentive, assise un peu plus bas. Les individus n’existent plus, ils se sont fondus dans cette masse compacte et silencieuse. Cependant, à y regarder de plus près, il y a ça et là des comportements individuels, ceux de la vie quotidienne, qui n’enlèvent en rien à la beauté et la gravité de cette commémoration. C’est un jeune garçon assis à mes côtés, qui a bien remarqué qu’un sachet de bonbons dépasse de ma poche. Je lui en offre un et les propose également à tous mes voisins souriants et ravis d’une telle invitation. Ce sont quelques téléphones portables, sortis des poches, qui immortalisent l’évènement présent ou pour envoyer un simple sms. C’est une jeune femme, par conviction religieuse mais peut-être aussi par coquetterie, qui ajuste son foulard coloré en vue de cacher quelques mèches rebelles. Je sens également, proche de moi, l’odeur prégnante d’une cigarette dans l’air ambiant tandis qu’au loin, le rire d’un enfant joueur apporte une note d’insouciance.
Aux premières notes de musique de Srebrenicki inferno , je fais corps de nouveau avec la foule. Cette chanson aux Paroles fortes, précède la mise en terre des cercueils verts qui seront accompagnés par la triste litanie des hauts parleurs égrenant les noms des 35 personnes enterrées ce jour. Dans un instant, la cérémonie officielle va s’achever pour laisser place à 35 cérémonies privées, réparties sur l’ensemble du site. Il est temps de laisser les familles se recueillir dans l’intimité.
En sortant de cette enceinte, je croise 2 jeunes filles toutes vêtues de rouge dans un habit que j’imagine traditionnel.
Elles me sourient et j’en fais de même. La vie continue !